Chers sujets de mes soins constants,
Trente-et-un ans dans les gencives ! Et pour certains, trente-et-un ans d’acouphènes. Trente-et-un ans de bananes dans les oreilles ! L’anniversaire semble irréel comme un Donald dessiné par Picasso et vendu par Sotheby’s. Pourtant, je me souviens de tout. Car j’étais là.
La filière de la laine jurassienne était à l’agonie. La bonne laine de nos moutons finissait dans des foyers indignes, faute d’être valorisée. On n’en faisait même plus des moumoutes pour l’état-major de l’armée, c’est dire sous quel seuil d’ignominie sa valeur marchande était tombée ! Comble de la déchéance, nos mamies ne tricotaient plus que d’infâmes torchons grisâtres à partir de fibres agglomérées de lycra déclassé, de limaille de fer, d’amiante et autres rebuts de l’industrie pétrochimique. Craignos ! Il fallait faire quelque chose ! Debout les Franches !
Nous étions jeunes. Nous étions fous. La grande tablée de copains indignés avala quelques hectolitres de bière et l’idée démente surgit : nous allions organiser un grand marathon populaire de tricot pour relancer la filière de la laine jurassienne ! Chiche ! On allait voir ce qu’on allait voir ! Une maille à l’envers, une maille à l’endroit, ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Comment nous nous sommes retrouvés avec un festival de musique en lieu et place d’un marathon populaire de tricot ? Aucune idée. Des failles dans la chaîne de commandement, sans doute. Une tragique erreur de traduction, peut-être. Un hectolitre ou deux de trop, allez savoir. J’étais là. Je me souviens de tout. Ou presque.
N’empêche : si tous les visiteurs du Chant du Gros se mettaient à tricoter non-stop, la filière de la laine jurassienne connaîtrait un nouvel âge d’or! Il est toujours permis de rêver…
Votre ami pour la vie,
Georges Calgon